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Le Château de Courseulles-sur-Mer

 

Courseulles est une commune du Calvados, située en bordure de mer, sur la côte de Nacre. Son principal monument est ce fameux château qui a traversé les siècles malgré l'épreuve du temps et de l'histoire. Courseulles fut donc une des plus anciennes baronnies de la province et son histoire fut liée intimement à celle du duché pendant plus de six siècles

Un manuscrit de la fille de monsieur Hector de Saint Clair (propriétaire dans les années 1860) relate l'histoire de la Baronnie de Courseulles et nous révèle ainsi que le plus ancien Seigneur fût Raoul de Courseulles qui y vivait en l'an 813. Le domaine fut confisqué pendant un siècle à la suite d'un malencontreux meurtre, puis fut rendu à Jacques de Courseulles, le petit fils du précédent propriétaire.

En Dix siècles le Château de Courseulles connut environ 35 propriétaires.

En 1060, il appartenait aux Seigneurs de Courseulles, avant d'être à nouveau confisqué par le Roi de France, en 1255 le fief passa à la famille Meullant avant d'être assiégé en 1419 par Henri V, Roi d'Angleterre.

Perrine de Meullant, mariée à Guillaume de Rosenivinen, hérita de Courseulles en 1450. Le château et ses terres furent transmis à Françoise leur fille qui épousa Jean de Montalais. Avec elle la baronnie de Courseulles, qui depuis 200 ans avait toujours été transmise de père en fils dans la même maison, entra dans une nouvelle phase de vicissitudes continuelles.

A la mort de Mathurin de Montalais, fils des précédents, la terre de Courseulles fut vendue à François de Marcillac, président du Parlement de Rouen, avant d'être revendue en 1584 à François d'O.

François d'O, après avoir été successivement maître de la garde-robe du Roi Henri III, premier gentilhomme de sa chambre, capitaine de cent hommes d'armes de ses ordonnances, venait d'être nommé lieutenant général au gouvernement de Normandie, capitaine et gouverneur des ville et château de Caen (1584), ce qui l'avait déterminé à acheter Courseulles comme résidence d'été.

 

 Un an après, un caprice du Roi le rappela à Paris, où il fût nommé gouverneur de l'Ile de France, chevalier des deux ordres et enfin surintendant des Finances, tandis que la charge de gouverneur de Normandie et de capitaine de la ville de Caen était donnée à un autre favori, Anne, duc de Joyeuse. François d'O céda la baronnie de Courseulles le 5 mars 1586 à Anne , duc de Joyeuse, qui n'en jouit pas longtemps puisque, 18 mois plus tard, il fût tué à la bataille de Coutras. Le prix de vente n'ayant pas été payé, François d'O reprit possession du château et en continua la restauration.

La façade vers la mer avait beaucoup souffert des assauts des Anglais pendant la guerre de cent ans et les barons moins riches et moins prodigues que François d'O, avaient négligé de la réparer. Il la fit refaire et fit abattre une tour tombée en ruines qui s'élevait à l'extrémité du fossé du côté du moulin; l'emplacement de cette tour était encore repérable avant la guerre de 1939-45 grâce à quelques vestiges enfouis dans l'herbe. Sur la nouvelle façade il fit sculpter son monogramme composé des lettres F et O enlacées qu'on voit toujours au fronton. La mode des croisillons de pierre aux fenêtres étant passée, les nouvelles fenêtres furent pourvues de meneaux de bois plus légers, ce qui donnait davantage de lumière à l'intérieur.

Le château d'après le plan de Bignon (1672)

  Il transforma donc ce puissant château-fort en une demeure plaisante comme on en construisait beaucoup à la fin du XVIe siècle. François d'O fut disgracié par Henri III et par Henri IV et mourut à Paris en 1605, sans postérité.

 

 

 

 

 

Cependant la veuve du duc de Joyeuse, sœur de la reine, qui s'était remariée ne s'était pas résignée à la perte de Courseulles. Après la mort de François d'O elle obtînt gain de cause, avantage bien illusoire du reste, puisqu'elle ne put le payer. A la suite de procès interminables, la terre finit par être adjugée en 1630 à Thomas II Morant.

Thomas II Morant, né en 1584, épousa Jeanne Cauchon de Treslon, fille de Laurent Cauchon, chevalier et seigneur de Brionne. La mort prématurée de cette jeune femme laissa Thomas veuf avec deux enfants en bas âge Thomas III né en 1616 et Anne née en 1619. Il se remaria deux ans après et aura dix enfants, cinq garçons et cinq filles. A sa mort en 1651, il fût impossible de procéder au partage de ses biens et la succession resta indivise plus de vingt ans.

Sa fille Anne, ayant perdu son mari et son fils s'installa définitivement à Courseulles en 1671 où vivaient déjà plusieurs de ses demi-frères et s'employa de tous ses moyens à liquider enfin la succession de leur père. La terre de Courseulles et ses dépendances furent mises en adjudication et elle s'en rendit acquéreur pour la somme de 143 000 livres.

Une restauration complète du château était devenu nécessaire, car depuis François d'O aucune réparation n'y avait été effectuée. Anne commença par démolir la triple rangée de courtines ou murailles percées de meurtrières qui protégeaient l'entrée du château, puis la tour du Levant qui faisait saillie sur la façade principale. Les matériaux furent réemployés à la construction d'une aile destinée à procurer à la nombreuse famille des appartements plus vastes et plus confortables.

Les poivrières ou tourelles garnies de meurtrières qui ornaient les quatre angles du grand corps de logis ainsi que l'échauguette qui le surmontait furent également supprimées. On laissa toutefois subsister une portion de la tour circulaire, celle où se trouvait enchâssé dans la pierre un petit escalier en pas de vis à peine assez large pour le passage d'une personne.

Seules les caves voûtées des sous-sols aux arceaux cintrés datent de l'ancien château-fort.

 

Mais le travail le plus délicat était la réfection de la toiture. Pour la décoration des mansardes il semble qu'on se soit inspiré d'abord des dessins de Bernin et de son école alors si en vogue. Les statues de taille plus haute que nature représentant des personnages allégoriques rappellent celles du parc de Versailles. Mais, après l'achèvement des quatre premières mansardes, on craignit que l'ensemble ne fut un peu lourd, si la hauteur était la même pour les six. Pour les deux mansardes des extrémités, on prit les modèles de Jules Hardouin-Mansart en copiant avec un peu d'amplification les mansardes de l'Hôtel des Invalides à Paris qu'il venait d'achever. On y retrouve les mêmes attributs guerriers, cuirasses, casques et boucliers. Il est aussi fort possible que ces mansardes, véritables œuvres d'art, aient été dessinées par cet architecte lui même. Car c'est à lui que sont attribués les plans de plusieurs des plus beaux châteaux construits au XVIIe siècle dans la contrée. Ainsi Courseulles, avec la sobriété et la simplicité de ses lignes, pris son aspect définitif.

A la mort d'Anne Morant, en 1698, Nicolas-Claude et Charles-Roger étaient les seuls survivants des cinq frères et cinq soeurs. Le domaine de Courseulles fut morcelé entre eux et leurs neveux. Mais un gentilhomme du voisinage, Jacques-Joseph de Bellemare-Valhébert entreprit de le reconstituer en rachetant la part de chacun d'eux. En 1711 tous les arrangements étaient terminés. Il mourut en 1733 et donna en héritage le domaine de Courseulles à son petit fils Philippe de la Rivière.

Né en 1713, Philippe de la Rivière mourut en 1751, laissant cinq enfants. Son seul fils Pierre-Charles (1749-1779) qui avait pris le titre de Marquis de Courseulles et qui s'abandonnait à son goût pour le luxe et les plaisirs commença à dilapider sa fortune, mourut à l'âge de trente ans de maladie contagieuse. Avec lui s'éteignait le nom de la Rivière. Ce fut sa soeur Judith qui hérita de Courseulles. Elle n'habita pas longtemps le château, car pendant la révolution française, elle se réfugia en Allemagne. Le château fut occupé à maintes reprises et servit également de caserne pour l'infanterie.

Vers 1824 l'aile sud du château fut démolie et les matériaux vendus à un maçon d'Amblie.

Vers 1960, lorsque monsieur Mariette, jardinier au château, y planta des arbres, il fit savoir à mon père qu'il avait découvert des dalles de pierre qui permettaient de penser qu'un bâtiment avait été édifié à cet emplacement.

 

 

 

 

 

 

 

Judith mourut en 1834. Sa nièce Agathe, femme du Marquis de Malherbe, hérita du domaine. Cette dame y passait l'été, vivant l'hiver à Orléans où elle mourut en 1856. A son décès, le château fut attribué à son neveu Louis de Savignac qui le mit en vente en 1859. Il trouva acquéreur en la personne de Louis Nicolas Hector de Saint Clair. Dix ans plus tard, en 1869, Emmanuel Lepeltier acheta le château pour la somme de 45 000 francs. A sa mort, son fils Gustave en hérita

J'ai conservé une affiche du 3 juin 1890 qui annonce la vente et la mise à prix du château et des terres environnantes 4 ha 38 a 67 ca (parc, garenne, jardins potagers), pour la somme de 175.000 francs.

Le château vers 1900

La château ne trouva acquéreur que le 16 septembre 1918, où il fut vendu à la Société Sucrière du Calvados pour la somme de 162.000 francs.

Il fut transformé en maison d'habitation pour le directeur, la garenne et les jardins, en usine. La culture de la betterave, intense dans la région, est à l'origine de la création de cette sucrerie qui fournit longtemps du travail à bon nombre de courseullais, mais ferma ses portes en 1965.

En 1940, la Société Sucreries et Raffineries Bouchon, acheta cette sucrerie, le directeur avait fui devant l'avance allemande, abandonnant tout. L'usine étant sans chef, les betteraves mûrissaient dans les champs. Il fallait assurer la fabrication. Robert Bouchon vînt alors s'installer au château : les bureaux y étaient installés, une cloison divisait le grand salon, un comptoir s'étalait tout du long, le beau parquet Versailles était blanchi à l'eau de javel, des dossiers traînaient un peu partout.

 

La salle à manger était le réfectoire des ouvriers saisonniers, le vestibule présentait une rigole de zinc avec une série de robinets à office de lavabos. Le 1er étage servait de débarras et de logement. Les belles caves voûtées présentaient le même désordre.

En 1941, des travaux furent entrepris pour aménager le château et lui redonner sa vocation d'habitation.

N'oublions pas que la Normandie fut "zone occupée" par les Allemands de 1940 à 1944. Le château était vraiment trop voyant; situé sur un piton, il était signalé sur toutes les cartes marines. L'inquiétude d'un futur débarquement des Alliés en France revenait souvent dans les conversations. Chacun se voulait préservé : on arguait de la protection des "rochers du Calvados" aux larges barrières infranchissables, disait-on. Il fallait une côte plate.

Un jour la radio anglaise, toujours en messages codés destinés à la Résistance, annonça :

"Les violons de l'automne,

blessent mon coeur

d'une langueur monotone"

vers de Verlaine qui annonçaient le débarquement pour le lendemain, 6 juin 1944.

Quelques jours avant le débarquement, les occupants avaient trouvé refuge au Château de Fontaine Henry à quelques kilomètres de Courseulles. Le soir du débarquement, un réfugié, leur apprendra l'incendie du château de Courseulles, frappé de plein fouet par des obus de la marine. L'incendie dura 24 heures. Seuls les quatre murs calcinés, privés de fenêtres restaient debout. Dans le ciel se détachaient encore les belles lucarnes sculptées.

 

 

 

  

Au matin du début de l'incendie, Guy Barba, neveu de Robert Bouchon, caché au château pour échapper au travail obligatoire en Allemagne, se réfugia dans les caves se protégeant ainsi des tirs armés. Il crut entendre couler de l'eau. Une fois au rez de chaussée il reconnut le crépitement du feu sur les boiseries et découvrit l'ampleur du désastre : le salon couvert de plâtre, le piano éventré, les meubles renversés ..., un obus avait tout ravagé. L'incendie commençait à se propager. Avec un peu d'aide, il réussit à sauver quelques meubles les transportant sur la pelouse. L'aile était devenue un brasier.

De 1945 à 1950, la restauration des façades et des couvertures de ce château-martyr a été entreprise par Robert Bouchon en collaboration avec le directeur des Monuments Historiques du Calvados. Les belles lucarnes de la façade située du côté du village ont pu être conservées et rattachées à la maçonnerie intérieure.

Fin 1950 le château reconstruit, redevînt une maison d'habitation, la sucrerie de Courseulles battait son plein et c'est en 1965 qu'elle cessa son activité au profit de l'usine de Cagny et fut démontée.

 

Depuis cette époque, au moment des fêtes de fin d'année, les anciens de la sucrerie ont plaisir à se réunir autour d'une coupe de champagne pour se rappeler leurs souvenirs professionnels et familiaux à Courseulles. Cette idée, lancée par Robert Bouchon, se perpétue aujourd'hui encore, chacun ayant à coeur de ne pas oublier les anciens patrons : Robert Bouchon, Max de La Giraudière, Bernard de Tilly et Maurice Michel, ainsi que tous leurs camarades de travail.

L'esprit d'équipe et de solidarité qui animaient le personnel de la sucrerie reste toujours très vif à notre esprit.

Pascal Bouchon